La Bretagne est-elle un no cheese’s land?
La voie lactée était pourtant toute traçée
Les Bretons savent faire pleins de trucs cools : des crêpes, des sardines en boîte, des andouilles, des gâteaux tellement sucrés que tu te vois dedans… mais pas de fromage !
Qui a déjà entendu parler des fromages bretons ?
*toute les internautes regardent leur clavier* : PERSONNE !
Y’a qu’à voir la carte des AOP fromagères, le néant.
Et pourtant, la Bretagne est la première région laitière française.
Les quelques 750 000 vaches laitières du coin produisent 5,4 milliards de litrons de lait, c’est plus de 20% de la production française.
Alors pourquoi y’a pas d’fromtons chez les bretons ?
Le fromage, pour eux c’était de la bouffe pour les sans dents.
Il y a toujours eu beaucoup de lait en Bretagne, météo pourrie oblige.
Car météo pourrie = pluie = herbe verte fraîche toute l’année = vache contente = lait.
Mais avec ce lait, les mecs faisaient tout, sauf du fromage. Le fromage avait la réput’ d’être un aliment pour les gagne-petit, les pue-la-sueur.
On appelait le fromage « laezh brein » : lait pourri. C’était réservé aux galériens qui ne pouvaient pas se payer un bon rôti de bœuf.
Avec le lait, ils faisaient du miton (soupe au lait + pain rassis…), des crêpes bien sûr, mais surtout ils barataient des tonnes de beurre. Surtout du beurre salé d’ailleurs, parce que Philippe numéro 6 avait décidé que les paysans bretons ne seraient pas assujettis à la gabelle, la taxe sur le sel.
Ce beurre, ils s’en servaient pour préparer des Kouign-Ammans (litt. : gâteaux au beurre), des sablés, des fars, des caramels…J’arrête la liste car j’ai des palpitations cardiaques.
Encore aujourd’hui, la Bretagne nous moule plus d’un quart du beurre français.
Des moines qui sentent le blé
Fin 18ème, une jeune normande nous pond le premier camembert. Ça a fait un gros gros carton. Alors les bretons, attirés par l’opportunité de gagner de l’argent en masse, se sont décidés à faire du fromage eux-aussi. Bien sûr, les moines, vénaux comme ils sont, ont été les premiers à se mettre sur le dossier.
À partir de 1815, les moines de l’abbaye de Port-du-Salut (Mayenne) se sont mis à fabriquer du « Fromage de l’abbaye » qui sera rebrandé « Port Salut ». Il s’agit d’une grosse boule jaune à la pâte souple et aux arômes doux.
D’autres monastères se sont mis sur le créneau : l’abbaye de Timadeuc (Trappe de Timadeuc dès 1841), l’abbaye de la Coudre (Trappe de la Coudre, dès 1868), Notre-Dame-de-Melleray…
En 1880, dans la région nantaise, un prêtre et un agriculteur pondent un nouveau fromage : le « Régal des Gourmets » qui deviendra le bien connu « Curé Nantais ».
Tous ces fromages sont maintenant des marques commerciales fabriquées par des industriels : le groupe (Baby)Bel fabrique le Port-Salut & la Trappe de la Coudre, Triballat Noyal le Curé Nantais, etc…
Bienvenue chez les bretons
Au 20ème siècle, les industriels ont mis les petits plateaux de fromage dans les grands.
Les précurseurs, c’étaient des fermiers bataves, la famille Huitema. Ils sont arrivés en Bretagne dans les années 30 et ont commencé à faire des pâtes pressées cuites comme à la maison : de la « boule d’or » (edam), et du « disque d’or » (gouda)…
Puis, dans les années 60, ça a été le grand déménagement. Le sympathique groupe savoyard Entremont déménage ses appartements d’Annecy direction le Morbihan. Ils vont racheter des laiteries et se mettre à produire en quantité astronomique…de l’emmental ! Choix judicieux s’il en est : pas de label d’authentification, facile à produire en masse pour que dalle, ça se rape facile.
Dans la foulée, d’autres groupes, les sympathiques Lactalis, Triballat-Noyal & des coopératives géantes (Sodiaal, Laïta, Senoble) se sont invités au banquet.
Au final, à l’ouest, on fabrique maintenant plus de 70% de l’emmental français. Kenavo la Savoie, merci et bonne soirée !
Au 7ème siècle, des moines bénédictins italiens débarquent dans la vallée de Fecht et construisent un monastère en l’honneur Entremont Alliance, qui compte six immenses usines en Bretagne, est tout simplement le premier groupe mondial de fromages à pâte pressée cuite.
Parce qu’il faut savoir se recycler, la Bretagne produit maintenant de la feta, de la mozza, enfin bref, pas de limites !
A l’ouest, du nouveau !
Tout n’est pas foutu pour autant, il commence à y avoir du mouvement sur cette terre de désolation fromagère.
Un dynamisme bien représenté par Mister Marc, Sten Marc, patron de la fromagerie familiale du Bout du Monde, présente sur une dizaine de marchés dans le Nord Finistère.
Le breton pur beurre a un rêve : proposer un plateau 100% breton.
On le retrouve sur pas mal de projets :
- il tente d’affiner dans la mer (dans l’Aber Wrac’h) un Bleu d’Iroise scellé à la cire d’abeille,
- il a co-organisé la première édition du « From Fest » à Quéménéven-les-bains pour ceux-là qui aiment le rock et le fromage. Moi aussi, j’ai loupé ça…
- Chaud comme la breizh, il prévoit d’ouvrir à côté de Brest un espace de 600m2 dédié aux fromages bretons :labo, cave d’affinage, espace de dégustation et de formations.
Il soutient ouvertement les fromagers bretons, qui ont le vent en poupe :
- Betty & Olivier Samain qui ont lancé leur propre chèvrerie l’année dernière et proposent un delicieux « Breton aux Algues », sorte de pélardon avec des algues au milieu et bien sûr, une moucheture d’hermine à l’encre de seiche ;
- la bien-en-place fromagerie Darley qui souffle ses 30 bougies et propose une gamme étendue (une croûte lavée, un bleu –le seul bleu breton, un cheddar, une pâte cuite…
- Ronan le Palud qui fabrique depuis quelques années des tommes de la P’tite Montagne : tomme au lait bio de vache de la race rustique bretonne Pie noir.
Bref, les Bretons, à la base, ils sont bien pourris en fromage. Mais y’a de plus en plus de gars sûrs qui font de leur mieux pour que les fromages bretons, ça nous gagnons…
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